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    Depuis que le Batalbum vogue sur le web, son équipage a embarqué plus d’une centaine d’albums. Ceux qui ont trait à des « problèmes sociaux » ou aux « grandes questions de société » ont été rares :

    Les yeux de Léna, doux portrait d’une enfant atteinte de maladie génétique ;

    Les couleurs retrouvées,  Noir/Voir et Le livre noir des couleurs à propos de la cécité.

    Je suis là, Maman ! évoque  avec tact une mère alcoolique.  

    Le parapluie vert illustre la générosité discrète d’une petite fille envers un clochard.  

    Le mineur et le boulanger réconcilie le blanc et le noir (de la peau).

    Un seul album raconte l’une des tragiques histoires de notre temps, et encore le fait-il à travers la mémoire d’un marronnier : Les arbres pleurent aussi, inspiré de l’histoire d’Anne Frank.

    Rares parce que je n’aime pas l’acharnement avec lequel certains se croient tenus de tout dire, tout aborder, ne rien cacher, comme si les enfants ne méritaient pas d’être mieux traités que nous autres, adultes, saturés à longueur de journée par le torrent boueux que déversent les médias. Nos problèmes ne sont pas leurs problèmes. Pensez-vous qu’ils seront plus justes que nous, moins criminels que nous, parce que nous aurons martelé tôt dans leurs cervelles nos discours vertueux ? Je crois bien davantage à l’exemple, dont se dispensent tant de nos bruyants démagogues. Je crois aussi que l’enfance a besoin d’un tact infini. C’est ce qui m’a touchée dans les albums évoqués.

    Alors, pensez, la FAIM, la faim dans le monde – et nous savons tout de suite de quoi il est question, ce n'est pas un problème abstrait, une affaire d'opinion. La faim est un besoin si élémentaire, si vital que le nouveau-né, comme l’oisillon, met d’instinct toute son énergie à réclamer ce qui lui semble dû. Et pourtant…

     

    Toutes les six secondes dans le monde
    Un enfant meurt de faim

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    François David et Olivier Thiébaut ont travaillé trois ans sur l’album que Møtus vient de publier :

    Un rêve sans faim.

    Trois ans pour trouver l’image et le mot justes, pour traduire avec la poésie de la pudeur une réalité insupportable et tragique, mais aussi l’espérance que suggère le titre. Tantôt les mots semblent couler de l’image, tantôt l’image leur fait écho. Page après page, comme dans la toile tissée sous les poèmes, nous entrons dans cette réalité si lointaine, si inconnue de nos pays nantis.

    Et tandis que la faim devient plus proche et vraie, nous nous prenons à espérer, à rêver, à vouloir agir.

    Seuls deux visages d’enfants réels ont été glissés dans les compositions de l’illustrateur, avec toute la délicatesse possible – délicatesse envers ces enfants d’abord, envers leurs parents qui les ont vu souffrir et mourir peut-être. Je ne les montre pas ici, exprès, pour vous inciter à trouver ce beau livre, à l’offrir à des enfants et à des grandes personnes qui ont faim de justice car…

    Aussi vrai que la terre est ronde
    elle est généreuse et féconde
    Elle a bien assez pour nourrir
    tous les enfants du monde

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    Un rêve sans faim
    Texte : François David
    Images : Olivier Thiébaut
    © 2012, éditions møtus

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    Sur chaque exemplaire vendu, 1 euro est reversé à l’ONG Sharana, ONG indienne. Dans la région de Pondichéry, elle mène des projets liés à l’éducation des enfants. Elle se consacre aussi au développement de la culture de la spiruline, cette algue, dotée de pouvoirs nutritifs, évoquée dans un des poèmes du recueil. 

     


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     LA JOIE DE LIRE de Francine Bouchet fait partie de mes éditeurs fétiches. Si vous habitez Genève, il est encore temps d'aller jubiler à la Bibliothèque de la Cité (jusqu'au 13 octobre). La Joie de lire, née en 1987, fête ses 25 ans (dossier de presse ici).

     

     

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    A Montreuil (2011), le coup de foudre a été instantané pour les deux albums de l'écrivain hongroise Éva Janikovszky illustrés par son compatriote Lászlo Réber, que La Joie de lire venait de rééditer.

     

    MOI, SI J'ÉTAIS GRAND (initialement publié à Budapest en 1965 et chez Flammarion l'année suivante) annonce d'entrée de jeu la couleur :

     

    Tous les enfants savent,

    même les plus petits,

    qu'être un garnement

    est bien plus marrant

    qu'être obéissant.


     

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    INCROYABLE MAIS VRAI (à Budapest en 1966, chez Flammarion en 1977) commence ainsi :

     

    Quand j'étais petit, j'avais du mal à croire

    que l'une de mes mamies était la maman de papa

    et que mon autre mamie était celle de maman.

    Quand j'étais petit, j'avais du mal à croire

    qu'un de mes papis était le papa de papa

    et que mon autre papi était celui de maman.

     

    Là-dessus, le narrateur, qui a un peu grandi et y voit plus clair, entreprend d'expliquer la généalogie familiale à sa petite soeur Mimi...


     

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    Les textes ont toute la drôlerie et la vivacité du regard enfantin sur l'univers adulte dont leur propre monde a si franchement tendance à déborder. Les images, qui empruntent à l'enfant ses crayons de couleur et son trait épuré au graphiste qu'était László Réber, sont une merveille de fraîcheur et d'humour. "Politiquement incorrects et légèrement subversifs", nous avertit l'éditrice. Quand deux grands artistes jouent en parfait accord, avec impertinence et gaieté...

     

    Les deux albums avaient donc été réédités par La Joie de lire en septembre dernier. Jolie surprise, un an plus tard : RÉPONDS CORRECTEMENT ! et LA CHANCE QUE J'AI ! le sont à leur tour.


     

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    Dès Montreuil, je m'étais promis de les embarquer sur le Batalbum. J'ai tardé, vous l'avez compris, et quatre saisons ont passé, mais j'aurais d'autant plus de joie à convier (très bientôt) les quatre à bord ! Et vous à les découvrir, je l'espère, en vous promenant sur le pont...

     

    Avril 2013 :ils sont dans l'à-coeur-blogue de Roch et Selma !

     

    P.-S. : Pour prolonger la danse hongroise - au rayon de la littérature adulte cette fois -, je citerai deux livres (deux pépites d'or pur) et trois noms qui me sont particulièrement chers : Niki, l'histoire d'un chien de Tibor Déry, tout Sándor Márai mais avant tout Les braises, et (presque) tout Magda Szabó.



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  • Connaissez-vous le scarabeethoven, le chat-ours et le corboa (qui « plein de joa ouvre son large bec, laisse tomber sa proa ») ? Bienvenue chez les Oulipiens, jongleurs savants ès rimes étranges et farfelues, qui inventent les contraintes les plus rigoureusement mathématiques pour mieux jouer avec les mots. Mais que disent-ils d’eux-mêmes ?

     

    OULIPO ? Qu'est ceci ? Qu'est cela ? Qu'est-ce que OU ? Qu'est-ce que LI ? Qu'est-ce que PO ?
    OU c'est OUVROIR, un atelier. Pour fabriquer quoi ? De la LI.
    LI c'est la littérature, ce qu'on lit et ce qu'on rature. Quelle sorte de LI ? La LIPO.
    PO signifie potentiel. De la littérature en quantité illimitée, potentiellement productible jusqu'à la fin des temps, en quantités énormes, infinies pour toutes fins pratiques.
    QUI ? Autrement dit qui est responsable de cette entreprise insensée ? Raymond Queneau, dit RQ, un des pères fondateurs, et François Le Lionnais, dit FLL, co-père et compère fondateur, et premier président du groupe, son Fraisident-Pondateur. 

     

    Suite ici 


    Georges Perec, Italo Calvino, Marcel Duchamp en étaient, je vous laisse imaginer la descendance…

     

    Pour le jubilé de l’OuLiPo (mais oui, c’est le bon mot : 50 ans en 2010 !), les éditions Rue du monde offrent aux enfants Le petit Oulipo, une anthologie de textes réunis par Paul Fournel, « secrétaire définitivement provisoire » de l’OuLiPo jusqu’en 2003, son président depuis, auteur de coquines Manières douces sous le nom de Profane Lulu.

     

    La jeune Lucile Placin a illustré l'album avec une évidente jubilation. Textes et images rivalisent d’inventivité. C’est joyeux, débridé, flamboyant. Mais attention, il ne s’agit pas d’un « digest » facile à ingurgiter par de jeunes lecteurs. « A partir de 8 ans et pour tous » dit le communiqué de presse. L’esprit oulipien est vraiment là, les pratiques littéraires sont mises à la portée des enfants, mais sans facilité complaisante.

     

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    Du lipogramme au monovocalisme, du rondeauderdrome à la surdéfinition, du mot-valise au proverbe détourné, Le petit Oulipo est un bel antidote à ce juillet morose tirant sur le gris.


    Une friandise à déguster sans modération.

    A découvrir sur le Batalbum, dans le Moulin à paroles de Nicéphore, radio du bord.

     

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    Sur le site de l’OuLiPo vous pourrez vous frotter à la « contrainte du mois » avec les onze lettres du mot ulcération. (En me creusant les méninges, j’ai imaginé pêle‑mêle : Ô écrin, salut ! // Ce tour salin // Trains coulés // Son car utile… Je compte sur vous pour inventer les chaînons manquants.)

     

    Voici en attendant une « Nouvelle sollicitude » estivale que m'a inspiré le succulent caramel à carie de mon enfance (preuve qu’il n’est pas de hasard, et je ne mâche pas mes mots, ledit caramel est venu au monde à peine six ans avant l’OuLiPo) :

    En lançant leur canne, les pêcheurs chantonnent

    Car dans la baie calme abondent bars et thons

    Mais le baryton Rambar traîne au bar

    Qu’a Rambar ?

     

    Bonnes vacances !

     

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    Le Petit Oulipo 

    Anthologie de textes de l’Oulipo

    Réunis par Paul Fournel

    Images de Lucile Placin

    © Rue du monde, 2010

     


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  • Il y a d’excellents albums documentaires, riches en contenu, joliment mis en page, qui ne sont pas pour autant des albums ‘‘ artistiques ’’ - je veux dire des albums où les images sont réalisées par des artistes, où l’illustration n’est pas seulement didactique mais dénote un regard, une sensibilité d’artiste.

     

    René Mettler a ce regard, cette sensibilité. Né en Suisse en 1942, il côtoie très tôt couleurs et pinceaux, grâce à un grand-père héraldiste. Devenu graphiste, il s’installe à Paris. En 1971, après un long séjour à Londres qui l’a mis en contact avec l’illustration anglaise, il décide de se consacrer entièrement à ce bel art lié au livre. René Mettler est un amoureux fervent de la nature. Son domaine de prédilection sera donc le documentaire sur la nature. Les titres se succèdent chez Gallimard à partir de 1985, dans les collections « Mes premières découvertes », « Découverte Benjamin », « Secrets ».

     

    Depuis 1997, il compose des albums grand format, où la nature est minutieusement observée dans ses variations au fil des heures et des saisons. Son regard va du lointain au proche, du macroscopique au microscopique. « Fixer un paysage, dit-il, c’est arrêter le temps, apprendre à regarder. Je fais beaucoup de photos du même endroit à des moments différents, avec des lumières différentes. Le paysage, c’est le plus beau des spectacles gratuits. »

     

    Son dernier ouvrage, Le grand livre de l’arbre et de la forêt, est « une célébration de tous les arbres du monde ». Après le sommaire alléchant, une double page offre un grand paysage à la Corot, histoire de planter le décor ou plutôt l’atmosphère. Pas de tape-à-l’œil ici, pas de grand discours, pas d’effets comiques ou dramatiques pour que porte la ‘‘ leçon de choses ’’. Mais une invitation à entrer dans ce livre comme on s’embarque pour un grand voyage.

     

    Les doubles pages se succèdent, emportant le lecteur-voyageur dans leur enchantement. Sous le pinceau de René Mettler, la préhistoire n’a pas la froideur désormais familière des images de synthèse, elle s’anime étrangement. Plus loin, les animaux de la forêt tempérée se rassemblent dans une même image divisée en jour et nuit, et l'art du peintre donne tout son charme à l'artifice. La forêt tropicale, la savane arborée se révèlent de même, dans la riche diversité de leurs arbres et de leur faune.

     

     

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    Le texte est aussi précis, vivant et captivant que le dessin. Anatomie  et croissance de l’arbre, photosynthèse, circulation de la sève, feuillus, conifères, palmiers, les explications approfondissent l'image en termes clairs. De même que les illustrations nous font naviguer de l'ensemble au détail, différentes polices de caractère structurent les pages du général au particulier. Tout l'ouvrage respire l'harmonie, éveille à chaque pas la curiosité. Les amateurs de records découvriront à la fin le plus vieil arbre, celui au plus gros fruit, la plus grande frondaison, le bois le plus léger… - non, je ne donnerai pas leurs noms, il faut partir en quête de ce vaste livre, il faut faire le voyage !

     

    A l’heure où Internet fournit tous les renseignements possibles de manière instantanée, où la télévision nous offre en haute définition des documentaires étonnants, où la photographie met à notre portée le cosmos immense et l’infiniment petit, la parution d’un tel album est un événement extraordinaire et réconfortant.

    Avec René Mettler, oui, le temps s’arrête, nous apprenons à regarder, et la beauté du monde se raconte, en 56 pages plus reliure, une reliure nervurée comme une fine écorce.

    Beau comme un séquoia géant !

    Les enfants aimeront ce livre comme un trésor.

     

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    Le grand livre de l’arbre et de la forêt 

    René Mettler

    © Gallimard Jeunesse 2010

    En partenariat avec l’Office National des Forêts (ONF)

    A découvrir dans le  Labo d'Abel, à bord du Batalbum.

     

    Le livre a été imprimé en Espagne et « le papier de cet ouvrage est composé de fibres naturelles, renouvelables, recyclables et fabriquées à partir de bois provenant de forêts plantées et cultivées expressément pour la fabrication de la pâte à papier. »

     

    L’ONU a désigné 2011 « Année internationale des forêts ».

    Souhaitons que les arbres en profitent, et nous tous avec eux !

     

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  • L’autre soir, entre les volumes de verre géants de la BnF, une nuée d’étourneaux s’est lancée dans un ballet époustouflant. Moment magique, sur un ciel d’heure bleue. Pendant de longues minutes, ils ont tournoyé au-dessus de nos têtes, en bandes rapides comme des bolides, se croisant sans heurts, souples et gracieux comme des voiles immenses.

     

    Ils ressemblaient aux oiseaux de  Laëtitia Devernay, ceux qui emplissent toute une double page de DIAPASON avant que leurs ailes ne redeviennent des feuilles et qu’ils ne regagnent leurs arbres en nuées harmonieusement dirigées par le chef d’orchestre.

     

    Album sans texte, leporello qui se déploie sur 132 pages, DIAPASON est une « ode à la musique ». Des portées sans notes de la couverture, on passe à la verticale de troncs où elles forment le sinueux tracé de l’écorce. Un petit homme paraît. Queue de pie et baguette à la main, il intrigue. Nous désirons le suivre, où qu’il nous mène dans les plis de ce bel accordéon.

    Avec agilité, il escalade un tronc et se retrouve à la cime d’un arbre taillé en boule, le plus haut de ce petit bois aux allures de noires et blanches, rondes et croches. Le chef d’orchestre alors étend ses bras.

     

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    Au premier frémissement de la baguette, une première note rompt le silence : une feuille se détache et s’envole, suivie par d’autres, et d’autres encore, de tous les arbres, feuilles-oiseaux, notes-oiseaux aux ailes de feuilles tourbillonnant et dessinant dans le ciel blanc des harmonies merveilleuses, des arias tour à tour graves et légères, qui s’éloignent et se rapprochent, s’atténuent et s’amplifient jusqu’au salut final du surprenant musicien.

     

     

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    Je ne dirai pas la fin de l’histoire mais c’est exactement cela que je vous souhaite à tous pour la nouvelle année (sur le site de l’éditeur, la dernière image - qui n’est pas celle du livre - vous mettra sur la piste…).

     

    Bonne Année 2011,

    au diapason de vos plus belles aspirations !


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    DIAPASON 

    Laëtitia Devernay

    © 2010, La Joie de lire  (Genève)

    Ce premier livre de Laëtitia Devernay fait partie des cinq gagnants de la 3ème CJ Picture Book Award en Corée. Il a été sélectionné parmi 447 titres de 29 pays.

     

    Un album d'une rare beauté, à découvrir sur le Batalbum.  

     


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