• En retrait du boulevard du Temple et du boulevard Beaumarchais, la rue Amelot égrène un peu secrètement ses trésors. A deux pas de l’Opéra-Bastille, la galerie L’Art à la page y expose depuis vingt ans les grands artistes méconnus que sont les illustrateurs.

    Ne manquez pas la dernière exposition montée par Marie-Thérèse Devèze : EN NOIR ET BLANC
    autour du travail d’estampe de Delphine Grenier, Laureen Topalian et Thomas Perino.

    (jusqu’au 27 mars)


     

    Delphine Grenier nous envoûte avec de grands monotypes aux jeux d’ombre et lumière inspirés par le tango argentin, ou bien ses délicates figures d’enfants au double mystérieux.

     

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    Le style de Thomas Perino évoque à la fois les arabesques de l’Art déco et la géométrie pure de l’Art nouveau. Il a choisi pour medium la gravure sur bois. Jeux de formes, de volumes, de perspectives, dans l’absolue sobriété graphique du noir et blanc. La galerie expose son étonnante Annonciation et quelques-unes des gravures tirées d’Alice au pays des merveilles (voir la Tortue fantaisie du quadrille des homards !).

     

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    Laureen Topalian puise son inspiration dans ses origines arménienne et juive sefarade, recréant d’après les photos de sa famille, des portraits d’une rare présence, au charme poignant. A voir absolument : ses merveilleux « théâtres » de carton (le portfolio de son site en donne un aperçu).

     

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    Hors des sentiers battus, Marie-Thérèse Devèze suit avec passion un chemin buissonnier difficile : nous faire connaître l’œuvre picturale de ceux qui publient des livres pour enfants – et de fort beaux – mais qui s’adonnent à leur art dans d’autres « domaines ». Ne serait-il pas temps de décoller les étiquettes que les spécialistes de la spécialisation aiment à coller sur tout et tous. Delphine Grenier, dans ses livres pour enfants, s’adresse bien réellement aux enfants et les enchante : voyez Le vilain petit canard (Didier jeunesse), Les belles espérances et La lettre que j’attends (textes de Jo Hoestlandt, Le baron perché). Ses gravures autour du tango et des figures gémellaires, tout autre, sont non moins fascinantes. De même pour les très jeunes Thomas Perino (Pierre dans le loup, Alice au pays des merveilles au Seuil jeunesse) et Laureen Topalian (Le Prince tisserand au Sorbier).

     

    Depuis 2006, Marie-Thérèse Devèze publie également, sur du beau papier, des imagiers monographiques où les grands illustrateurs contemporains ont carte blanche pour décliner leur inspiration sous forme d’abécédaire (Sara, May Angeli, Michelle Daufresne, Elzbieta, Emmanuelle Houdart, Alain Gauthier, Yvan Pommaux, Nicole Maymat autour de sa prestigieuse maison d’édition, Ipomée, où s’illustra Frédéric Clément à ses débuts). A voir aussi le Zoo de Natali Fortier, le délicat souvenir d’enfance Zim zim carillon de Georges Lemoine, ou encore Après le feu de Claire Forgeot, Un million de poissons rouges de Sacha Poliakova.

    De la belle ouvrage !

     

     

    Galerie L’Art à la Page
    8, rue Amelot – 75011 Paris
    tél : 01 43 57 84 95

    Lundi 9h30-18h30
    Samedi 14h-19h30
    Autres jours sur RDV
    jusqu’au 27 mars


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  • Sur un sujet terrible et difficile à aborder avec des enfants, Irène Cohen-Janca a écrit un texte d’une belle simplicité : Les arbres pleurent aussi.

    L’arbre qui pleure est un marronnier. Pas n’importe quel marronnier citadin : le marronnier du jardin de la maison, 263 Canal de l’Empereur, à Amsterdam. Comme beaucoup de ses pareils dans toute l’Europe, il en train de mourir, miné par une minuscule chenille.

    Il a un siècle et demi. Il en a vu des saisons, et des événements, mais il en est un qu’il veut raconter avant d’être abattu.

     

    Dans la maison, « captive comme un oiseau en cage », une jeune fille de treize ans tenait son journal. Sa famille était venue de Francfort à Amsterdam dès 1933. En 1942, avec des amis, ils se cachent là, Canal de l’Empereur. Un beau jour d’août 1944, une voiture s’arrête devant la maison, des policiers armés surgissent… La vie d’Anne Frank s’arrêtera à Bergen-Belsen, quelques mois plus tard.

     

    Pendant deux ans, elle a tenu son journal. Pendant deux ans, par une lucarne, elle a regardé les saisons passer dans l’arbre, et la vue de l’arbre a nourri ses espoirs de vie, de liberté. Sans doute aussi l’a-t-il consolée quand elle entendait « le grondement de tonnerre qui approche et nous tuera » ou quand elle ressentait « la souffrance de millions de personnes », selon ses propres mots pleins de maturité précoce.

     

    Maurizio Quarello manie toute la gamme des couleurs avec force – voyez chez Sarbacane Au bout des rails et Le voyage de la femme éléphant, le superbe Histoires naturelles de Jules Renard chez Milan et Toni Mannaro jazz band au Rouergue. Il a choisi d’aborder l’histoire d’Anne au crayon, avec douceur, avec pudeur. Sauf quelques rares touches suggérant la vie heureuse, la couleur (brun, rouge sang, noir) n’intervient que pour exprimer la cruauté de l’histoire.

     

    Celle-ci n’est pas travestie, mais l’horreur est voilée par la poésie narrative et picturale. Suggérée et non assenée - à l’image d’Otto Frank et sa fille, portant l’étoile jaune, qui se reflètent dans la chaussée pluvieuse - elle peut faire son chemin, l’enfant peut la recevoir.


     

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    Au fil des pages cependant, expressionnistes et sobres, certaines illustrations disent la brutalité, la violence. J’ai choisi, pour les « résumer », de montrer les barbelés du camp où s’est accrochée une feuille de marronnier brun rouge, comme un signe de l’arbre ami – a-t-il voulu suivre Anne dans sa déportation, ou la rejoindre en mourant à son tour ?

     

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    Le livre s’achève en douceur sur la renaissance de l’arbre : greffon qu’un enfant vient arroser, greffon dans lequel se perpétuera le souvenir d’Anne.

    Cet album est le coup-de-cœur de l’équipage à l’occasion du Printemps des Poètes.

     

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    Les arbres pleurent aussi

    Texte : Irène Cohen-Janca

    Illustrations : Maurizio A.C. Quarello

    © Rouergue, 2009

     


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