• Il y a d’excellents albums documentaires, riches en contenu, joliment mis en page, qui ne sont pas pour autant des albums ‘‘ artistiques ’’ - je veux dire des albums où les images sont réalisées par des artistes, où l’illustration n’est pas seulement didactique mais dénote un regard, une sensibilité d’artiste.

     

    René Mettler a ce regard, cette sensibilité. Né en Suisse en 1942, il côtoie très tôt couleurs et pinceaux, grâce à un grand-père héraldiste. Devenu graphiste, il s’installe à Paris. En 1971, après un long séjour à Londres qui l’a mis en contact avec l’illustration anglaise, il décide de se consacrer entièrement à ce bel art lié au livre. René Mettler est un amoureux fervent de la nature. Son domaine de prédilection sera donc le documentaire sur la nature. Les titres se succèdent chez Gallimard à partir de 1985, dans les collections « Mes premières découvertes », « Découverte Benjamin », « Secrets ».

     

    Depuis 1997, il compose des albums grand format, où la nature est minutieusement observée dans ses variations au fil des heures et des saisons. Son regard va du lointain au proche, du macroscopique au microscopique. « Fixer un paysage, dit-il, c’est arrêter le temps, apprendre à regarder. Je fais beaucoup de photos du même endroit à des moments différents, avec des lumières différentes. Le paysage, c’est le plus beau des spectacles gratuits. »

     

    Son dernier ouvrage, Le grand livre de l’arbre et de la forêt, est « une célébration de tous les arbres du monde ». Après le sommaire alléchant, une double page offre un grand paysage à la Corot, histoire de planter le décor ou plutôt l’atmosphère. Pas de tape-à-l’œil ici, pas de grand discours, pas d’effets comiques ou dramatiques pour que porte la ‘‘ leçon de choses ’’. Mais une invitation à entrer dans ce livre comme on s’embarque pour un grand voyage.

     

    Les doubles pages se succèdent, emportant le lecteur-voyageur dans leur enchantement. Sous le pinceau de René Mettler, la préhistoire n’a pas la froideur désormais familière des images de synthèse, elle s’anime étrangement. Plus loin, les animaux de la forêt tempérée se rassemblent dans une même image divisée en jour et nuit, et l'art du peintre donne tout son charme à l'artifice. La forêt tropicale, la savane arborée se révèlent de même, dans la riche diversité de leurs arbres et de leur faune.

     

     

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    Le texte est aussi précis, vivant et captivant que le dessin. Anatomie  et croissance de l’arbre, photosynthèse, circulation de la sève, feuillus, conifères, palmiers, les explications approfondissent l'image en termes clairs. De même que les illustrations nous font naviguer de l'ensemble au détail, différentes polices de caractère structurent les pages du général au particulier. Tout l'ouvrage respire l'harmonie, éveille à chaque pas la curiosité. Les amateurs de records découvriront à la fin le plus vieil arbre, celui au plus gros fruit, la plus grande frondaison, le bois le plus léger… - non, je ne donnerai pas leurs noms, il faut partir en quête de ce vaste livre, il faut faire le voyage !

     

    A l’heure où Internet fournit tous les renseignements possibles de manière instantanée, où la télévision nous offre en haute définition des documentaires étonnants, où la photographie met à notre portée le cosmos immense et l’infiniment petit, la parution d’un tel album est un événement extraordinaire et réconfortant.

    Avec René Mettler, oui, le temps s’arrête, nous apprenons à regarder, et la beauté du monde se raconte, en 56 pages plus reliure, une reliure nervurée comme une fine écorce.

    Beau comme un séquoia géant !

    Les enfants aimeront ce livre comme un trésor.

     

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    Le grand livre de l’arbre et de la forêt 

    René Mettler

    © Gallimard Jeunesse 2010

    En partenariat avec l’Office National des Forêts (ONF)

    A découvrir dans le  Labo d'Abel, à bord du Batalbum.

     

    Le livre a été imprimé en Espagne et « le papier de cet ouvrage est composé de fibres naturelles, renouvelables, recyclables et fabriquées à partir de bois provenant de forêts plantées et cultivées expressément pour la fabrication de la pâte à papier. »

     

    L’ONU a désigné 2011 « Année internationale des forêts ».

    Souhaitons que les arbres en profitent, et nous tous avec eux !

     

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  • L’autre soir, entre les volumes de verre géants de la BnF, une nuée d’étourneaux s’est lancée dans un ballet époustouflant. Moment magique, sur un ciel d’heure bleue. Pendant de longues minutes, ils ont tournoyé au-dessus de nos têtes, en bandes rapides comme des bolides, se croisant sans heurts, souples et gracieux comme des voiles immenses.

     

    Ils ressemblaient aux oiseaux de  Laëtitia Devernay, ceux qui emplissent toute une double page de DIAPASON avant que leurs ailes ne redeviennent des feuilles et qu’ils ne regagnent leurs arbres en nuées harmonieusement dirigées par le chef d’orchestre.

     

    Album sans texte, leporello qui se déploie sur 132 pages, DIAPASON est une « ode à la musique ». Des portées sans notes de la couverture, on passe à la verticale de troncs où elles forment le sinueux tracé de l’écorce. Un petit homme paraît. Queue de pie et baguette à la main, il intrigue. Nous désirons le suivre, où qu’il nous mène dans les plis de ce bel accordéon.

    Avec agilité, il escalade un tronc et se retrouve à la cime d’un arbre taillé en boule, le plus haut de ce petit bois aux allures de noires et blanches, rondes et croches. Le chef d’orchestre alors étend ses bras.

     

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    Au premier frémissement de la baguette, une première note rompt le silence : une feuille se détache et s’envole, suivie par d’autres, et d’autres encore, de tous les arbres, feuilles-oiseaux, notes-oiseaux aux ailes de feuilles tourbillonnant et dessinant dans le ciel blanc des harmonies merveilleuses, des arias tour à tour graves et légères, qui s’éloignent et se rapprochent, s’atténuent et s’amplifient jusqu’au salut final du surprenant musicien.

     

     

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    Je ne dirai pas la fin de l’histoire mais c’est exactement cela que je vous souhaite à tous pour la nouvelle année (sur le site de l’éditeur, la dernière image - qui n’est pas celle du livre - vous mettra sur la piste…).

     

    Bonne Année 2011,

    au diapason de vos plus belles aspirations !


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    DIAPASON 

    Laëtitia Devernay

    © 2010, La Joie de lire  (Genève)

    Ce premier livre de Laëtitia Devernay fait partie des cinq gagnants de la 3ème CJ Picture Book Award en Corée. Il a été sélectionné parmi 447 titres de 29 pays.

     

    Un album d'une rare beauté, à découvrir sur le Batalbum.  

     


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    De ce livre-là, j’aurai plus de mal à vous parler car cette fois il s’agit… du mien.

    Une histoire de papillon géant que les jeux du hasard ont entraîné (avec quelle joie !) vers Chan-ok et la collection Perles du ciel chez Flammarion.

    Dans un petit royaume de l’Asie orientale, le temps s’écoule paisiblement. Les gens sont heureux, leurs souverains sont « bons, justes et joyeux ». Le roi aime passionnément la chasse aux papillons. La reine les collectionne avec la même passion. Mais une nuit, après avoir reçu un bijou hors du commun, la reine voit en songe le plus prodigieux des papillons : les couleurs de ses ailes « changent sans cesse, dessinant de féeriques paysages qui s’évaporent l’instant d’après ». Le lendemain, bouleversée, elle ne veut plus entendre parler de chasse aux papillons. Le roi va-t-il l'écouter ? Ce mystérieux visiteur va-t-il détruire la paix du royaume ? Oui, aussi vite que la foudre, jusqu’à ce que le roi le rencontre à son tour et entende « la voix de vent et de velours » prononcer son nom…

    La jeune artiste coréenne Lee Jin-kyoung a magnifiquement saisi la grâce et la tendresse que j’ai tenté d'insuffler à mon histoire. Elle lui a donné cette finesse propre à l’Asie dans la relation de l’homme avec la nature. Ses images toutes emplies de douceur ont quelque chose d'aérien. Ne dirait-on pas qu’un papillon merveilleux est passé par là, et que les pages ont gardé de ses ailes poudrées, de leurs couleurs, comme une empreinte ?

     

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    Le papillon du coeur
    Texte : Sophie Guiberteau
    Illustrations : Lee Jin-Kyoung
    © Flammarion, 2010

    A découvrir sur le Batalbum !

    Daily motion : j'en parle avec Elise Hannart sur Yvelines Première, au moment de la sortie de L'Etoile de Man-su

    NB : Pour des problèmes de droits un peu délicats, seules deux doubles pages sont présentées sur le Batalbum. Ne croyez pas que je veuille ainsi vous "forcer la main" pour que vos enfants ne restent pas sur leur faim. Plus d'images les auraient encore plus alléchés ! Comme pour tous les livres du bord, j'espère seulement qu'ils auront envie de découvrir en vrai ce doux livre.


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    Créateur de jouets, de petits meubles et de livres pour enfants, André Hellé (1871-1945) n’a jamais grandi. Quand il écrit son autobiographie à la fin de sa vie, il s’arrête à ses 12 ans : Souvenirs d’un petit garçon 1871-1883. La seule photo connue de lui révèle un homme sensible qui a gardé de l’enfance l’étonnement et la gravité. Heureux hasard du calendrier, 2011 fêtera le centenaire de la parution de ses Drôles de bêtes en même temps que celle d’un certain Peter Pan

     

    Il a participé en 1893, sous son vrai nom (André Laclôtre), à la dernière exposition des Arts Incohérents de Jules Lévy.

    La première datait de l’époque où le fameux Club des Hydropathes avait éclaté en Fumistes, Hirsutes et autres Zutistes qui se retrouveraient bientôt au Chat Noir. On peut penser que le jeune André Hellé, auteur de dessins humoristiques et satiriques jusqu’en 1914, a fréquenté le cabaret montmartrois et son prodigieux théâtre d’ombres où Caran d’Ache et Robida, entre autres, réalisèrent quelques chefs-d’oeuvre avant que l'aventure ne tourne court en 1896.

     

    Dès 1895, le jeune dessinateur signe de son pseudonyme : André Hellé, probablement imaginé à partir de ses initiales (Laclôtre André). La longue liste des périodiques où il a publié, ainsi que sa bibliographie, sont sur le site de l’Association des amis d’André Hellé.

    Créée l’an dernier à l’initiative de Béatrice Michielsen, Jean-Hugues Malineau et Jacques Desse, cette association fédère tout ce qu’il est possible de savoir et découvrir sur cet artiste novateur mais trop méconnu et discret ; l’association a élu domicile Chez les libraires associés, une « île au trésor » cachée du côté de Barbès, au 3 rue Pierre l’Ermite.

     

    Le thème de l’Arche de Noé apparaît en 1904, dans un numéro de La joie des enfants. Ce sera en 1911 un vrai jouet, en bois découpé et peint, aux formes géométriques épurées. En 1911 également, paraît chez Tolmer la première version de l’ouvrage, intitulée Drôles de bêtes. Tolmer le réimprime (sans doute l’année suivante) sous le titre Grosses bêtes et petites bêtes, avec une autre illustration de couverture. En 1925, Garnier publiera à son tour L’Arche de Noé. C’est cette version que Circonflexe a rééditée en 1991 et réimprimée en 1999 puis 2009. Les enfants peuvent actuellement la découvrir sur le site du Batalbum.

     

    Maintenant que l’Association des amis d’André Hellé l’a annoncé (en même temps que les expositions prévues en 2011 au Centre de l’illustration de Moulins et au Musée du Jouet de Poissy), ce n’est plus un secret : les éditions MeMo rééditeront au printemps prochain, à l’identique, la première version du livre.

     

    Ce sera à deux titres un bel événement : on peut s’attendre à un ouvrage de grande qualité, qui permettra par ailleurs de comparer la façon dont l’artiste a changé de manière d’un livre à l’autre. Car les deux versions (et trois couvertures) diffèrent nettement.

    Dans la 1ère version, il y a plus de rondeur, le trait est stylisé, souple et presque japonisant (voir la grenouille par exemple). Les petites scènes accompagnant le texte montrent des personnages et des animaux jouets, avec leurs formes comme découpées dans le bois et leur socle pour tenir debout. Cet effet – quel dommage ! - disparaît en grande partie dans le livre de 1925. Certains animaux, superbes, de la 1ère version (marabout, oiseau des îles, mouton) n’ont pas été repris dans la 2nde qui propose en revanche de nouvelles bêtes (pingouin, zèbre, perroquet, loup, cheval, baleine). A noter aussi, dans la version initiale, le monogramme de l’artiste (qui n’est pas sans évoquer nos smileys actuels ! comme l’a noté un proche de Béatrice Michielsen).

     

    Petites bêtes et grosses bêtes ayant été numérisé par la Library of Congress, on peut déjà s’amuser au jeu de la comparaison (à reprendre, livres en main, au printemps prochain !). Que préférez-vous ? Personnellement, je trouve le petit âne de 1925 plus émouvant que celui de 1911, et plus amusants le chameau et le lion de Garnier/Circonflexe. Les ours et les crocodiles, si différents, sont à égalité. La girafe de 1911 est plus originale, l'oie incomparable, la vache une pure merveille ! A vous de jouer…

     

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    Toutes les images anciennes (fond brun rose) proviennent du site de la Library of Congress et sont tirées de Grosses bêtes et petites bêtes.

    Les autres sont tirées de L'Arche de Noé, album de 1925 réédité par Circonflexe.

     

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    L’Arche de Noé

    Par André Hellé

    © Circonflexe, 1991, réimpression 2009

     

    A découvrir sur le Batalbum.

     

    Pour en savoir plus :

    Site de l’Association et Ma galerie à Paris : photos de l’exposition qui a été consacrée à l’artiste Chez les libraires associés.

    Ricochet : article de Jacques Desse + photo d’André Hellé.

    Ribambelles et Ribambins : on y voit la belle page (à agrandir) du Catalogue de Noël du Printemps (1914) où figurent l’Arche de bois et tous les animaux qui l’accompagnent.

     

      

     


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    Gennadij Spirin me fascine depuis longtemps. Né près de Moscou en 1948, émigré aux Etats-Unis en 1991, cet artiste hors pair a illustré de grands textes et des contes populaires dans un style flamboyant et raffiné. L’ornementation des pages et certains traits rappellent Bilibine, mais son art évoque aussi bien la miniature, l’icône, la Renaissance.

    Le Sorbier a édité entre autres Le Nez de Gogol, Kachtanka de Tchékhov, Le Tsar Saltan de Pouchkine, Le Brochet, L’Oiseau de feu, Les Contes du Samovar. Vous trouverez chez Gautier-Languereau l’adorable Philipok disponible en petit format, et chez Casterman La Femme oiseau, La Princesse grenouille, La Fille du roi des mers.

    J’ai profité de la similitude des titres pour rapprocher à bord du Batalbum son Arche de Noé de celle d’André Hellé (prochain article). Ils ont si peu en commun que les voir côte à côte est assez… bizarre – il faut l’avouer – mais les enfants auront ainsi l’occasion de découvrir des styles radicalement différents.

    L’Arche d’inspiration russe est « la vraie » : le texte est tiré du Livre de la Genèse dans l'Ancien Testament. On découvre au fil des pages la construction du vaisseau gigantesque, l’embarquement des couples d’animaux, la traversée des eaux tourmentées, et la colombe enfin, rapportant de la terre ferme un rameau d’olivier.

    C’est somptueux et démesuré, à l’image du récit.

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     L’Arche de Noé
    Selon le Livre de la Genèse
    Peintures de Gennadij Spirin
    © 2009, Editions du Sorbier

    A lire sur le blog de Citrouille : Denise Escarpit évoque sa rencontre avec l’artiste en 1997.


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